Pourquoi parler la langue de chez nous aux tout-petits ?

Discrimination plus large des phonèmes

Le bilinguisme précoce renvoie à la capacité des enfants à construire leur langage en plusieurs langues à un âge propice pour ce faire. Cette période de la vie, désignée par les psycholinguistes comme « l'âge du langage », est caractérisée par une plasticité du cerveau des tout-petits qui leur en donne l'opportunité.

Ce cerveau adaptable et souple se traduit entre autres choses, en ce qui concerne l'appareil auditif des jeunes enfants, par une oreille dite « universelle », capable de discriminer tous les sons de toutes les langues. Ces capacités temporaires de la première partie de la vie humaine expliquent la facilité avec laquelle les petits peuvent construire leur langage dans plusieurs codes linguistiques : les langues.

Malheureusement, ces prédispositions initiales disparaîtront au fur et à mesure de la croissance des enfants, et leur oreille va petit à petit se spécialiser, se refermer donc, sur les sons de la langue ou des langues qui les environnent tous les jours. Dans cette situation, se contenter uniquement du français serait les priver d'une immense richesse et variété de sons. Ainsi, bien qu’étant une langue d'une grande richesse lexicale, le français est néanmoins une langue à la diversité de phonèmes (sons d'une langue) assez réduite.

En effet, notre langue nationale propose un éventail de 36 phonèmes, ce qui en fait une des langues d’Europe plus dépourvue en ce qui concerne la diversité de sons. Cette faiblesse phonologique a comme répercussion, une difficulté aiguë pour les francophones à pouvoir discriminer et reproduire les sons des autres langues, surtout les diphtongues et les triphtongue (sons complexes) ou les accents toniques qui n'existent pas ou peu en français, mais qui sont courants en occitan par exemple, mais aussi en anglais, allemand ou italien. Cette particularité du français est une entrave pour l’acquisition de nouvelles langues au cours de notre vie linguistique, si l'ouverture au plurilinguisme n'est pas initiée dès les premières années de la vie.

Permettre aux enfants de notre terrtitoire de pouvoir accéder au bilinguisme précoce français-occitan favorise une structuration du cerveau qui sera propice à l'accueil de nouvelles langues, ainsi que la conservation d’un crible auditif plus ouvert, plus à même de discriminer favorablement des sons issus d’autres langues. C’est alors, pour les enfants, une porte qui s'ouvre vers des compétences particulières et riches : l'entrée dans le plurilinguisme.

Ouverture vers le plurilinguisme

Devenir bilingue (point de départ du plurilinguisme), c'est avoir l’opportunité pour les enfants de construire, au fur et à mesure de leur croissance, des compétences langagières en deux versants linguistiques qui vont se répondre et se compléter, chacun faisant écho à l'autre. C’est aussi, une fois les deux langues installées, une possibilité offerte de pouvoir s'exprimer et dire le monde qui l'entoure de façon plus riche. C'est pouvoir voyager d’une langue à l'autre à tout moment de sa vie.

Être bilingue français-occitan, permet aux enfants de s’enrichir d’une culture éblouissante et de tisser un lien étroit avec un territoire pétri de cette langue. Ainsi, l'occitan est notre langue de proximité. La parler, c’est être en capacité de pouvoir échanger dans la langue maternelle de nos aînés, ce qui donne l'occasion de renforcer le lien intergénérationnel.

Comprendre l'occitan, c'est aussi accéder à la langue dans laquelle se sont construits les noms des lieux (villes, villages, montagnes, plages, rivières, rues, chemins…) qui nous entourent en permanence. Ceux-ci racontent leur histoire et sont explicatifs du territoire sur lequel va grandir l'enfant. Maîtriser l'occitan, c'est donner l'occasion aux enfants d'ouvrir un rideau de compréhension sur ce qui les entoure.

Parce qu'étant la plus centrale des langues romanes, aussi bien géographiquement que linguistiquement, l'occitan constitue une passerelle naturelle vers les autres langues latines, comme l'espagnol, l'italien, le catalan, le portugais et nombre d'autres. En grandissant, cette proximité linguistique offre aux enfants occitanophones une compréhension partielle et spontanée de ces langues, ce qui leur met à portée de main, leur premier passeport.

OCCITAN-gascon PORTUGAIS ESPAGNOL FRANÇAIS
cantar cantar cantar chanter
garia galinha gallina poule poule
vaca vaca vaca vache
camin caminho camino chemin

Une aide pour le français

Cette centralité au sein de la latinité, doublée du fait que l'occitan soit une langue sonore, là où le français, lui, est une langue latine sourde, fait de l'occitan une boîte à outils au service d'une maîtrise confortée du français au cours de la scolarité. Notre langue régionale est à la fois assez éloignée de notre langue nationale pour la voir comme un objet d'apprentissage distinct, mais en est assez proche pour pouvoir faire avec elle des comparaisons systématiques et des aller-retours entre les deux, qui viendront en renforcer la connaissance par les enfants (orthographe, champs lexicaux, grammaire, conjugaisons).

Nous le savons, les conjugaisons des verbes français peuvent être souvent épineuses parce que les terminaisons sont souvent muettes. Dans ce cas, l'élève ne peut pas se fier à ce qu'il entend pour savoir comment l’orthographier. Se le dire en langue d'oc, c'est pouvoir entendre des terminaisons sonores qui lui donneront la bonne réponse en français. Par exemple, les verbes français se finissent par un « -s » à la seconde personne du singulier, ou encore par « -ent » à la troisième personne du pluriel. Ces lettres, bien que muettes, doivent bien entendu être écrites. Pour s’assurer de la bonne orthographe, il suffira donc pour les enfants (devenus grands) de se le dire en occitan : « cantas » (donc « tu chantes »), « cantan » (donc « ils/elles chantent »).

Du point vue grammatical également, les sonorités de l'occitan vont de la même manière aider les enfants à une acquisition et un emploi du français confortés. Nous le savons, les accords du français sont difficiles à discerner parce qu'ils sont muets. Ainsi, des phrases très simples comme « une chanson chantée », « des chansons chantées », « un air chanté », se prononcent toutes avec la même terminaison « é » alors que chacune s’écrit différemment. Savoir le dire dans notre langue, c'est pouvoir s’appuyer sur les sonorités de l'occitan pour trouver comment l'écrire en français : « ua cançon cantada » = « chantée », parce que la terminaison sonore  « -a » qu'il donne « ée » en français; « un aire cantat » = « chanté », parce que la terminaison sonore « -at » donne « é » en français…

Conclusion

À la question « pourquoi parler la langue de notre territoire aux tout-petits ? », il existe un faisceau de réponses qui, toutes, seront utiles aux enfants afin de les aider à se construire et devenir grands. Qu’il s'agisse des vertus liées au bilinguisme précoce, ou encore de la valeur intrinsèque de notre langue comme outil au service d'un français mieux maitrisé, l'occitan est un des éléments les plus bénéfiques que puisse offrir notre territoire. Cette passerelle naturelle au sein de la latinité, promesse d'altérité, peut s'enorgueillir d'un patrimoine littéraire exceptionnel, qui depuis plus de mille ans et jusqu’à aujourd’hui demeure le socle, la matière première, d'une création culturelle moderne, vivante et ouverte sur le monde.